Parce que notre culture a sacralisé la scène, être comédien et monter sur scène pour exercer son métier est une source d’une peur immense. Un enfant qui ne possède pas encore cette culture n’aura pas peur : pour lui, il n’y a aucun enjeu à monter sur scène.
Pour le comédien, en revanche, c’est un acte très fort, une question de vie ou de mort : il doit incarner un personnage avec une intensité absolue.
Lorsque le trac survient, c’est un bon signe. S’il n’y a pas de trac, il n’y a pas d’enjeu, pas de tension à transformer en attention.
Le comédien parvient à maîtriser cette peur parce qu’il se connaît, qu’il connaît le contexte, même si des milliers d’imprévus peuvent survenir—car le spectacle est du spectacle vivant. Maîtriser cette peur, qu’on appelle le trac, s’apprend avec l’expérience et à travers l’écoute de soi. Mais pour commencer cet apprentissage, il faut d’abord accueillir cette peur.
Avec l’expérience et l’acquisition de nouvelles compétences, le comédien sera capable de métamorphoser cette peur. Il deviendra compétent parce que l’expérience lui aura appris qu’elle est nécessaire. Cette simple prise de conscience lui permet déjà de ne pas la nier ni la rejeter, mais d’essayer, petit à petit, de l’apprivoiser.
L’importance de la peur : ce plomb à transformer en or, car nous sommes des alchimistes.
Pour comprendre le processus et l’importance de la peur, imaginez-vous dans une pièce où un incendie se déclare. Dès l’instant où vous percevez le danger, une urgence s’enclenche en vous : celle d’éteindre le feu ou de fuir. Peu importe vos préoccupations du moment, vos soucis, vos pensées : tout sera balayé en un quart de seconde. Cette situation vous plongera dans un présent ultra-présent. Le passé et le futur n’existeront plus.
C’est de la même manière que le trac projette le comédien dans l’instant. Sa peur est si grande que rien d’autre ne compte. Chaque son, chaque sensation, chaque événement est amplifié. Tous ses sens sont en éveil.
Plus la peur est intense, plus elle révèle l’importance de l’événement pour nous.
La peur est un indicateur puissant.
Face au trac, deux solutions s’offrent au comédien :
- La peur prend le dessus : il perd ses moyens, oublie son texte, n’arrive plus à articuler à cause d’une bouche desséchée par l’angoisse, ses jambes flageolent… Il se retrouve paralysé.
- La peur se transforme en présence : le comédien, pleinement ancré dans l’instant, habite la scène avec une énergie puissante qui capte l’attention du public. La tension liée à la peur est devenue une concentration totale.
Cette transmutation est possible parce que le comédien ne fuit pas la peur. Il l’accepte, l’écoute, la dompte et la transforme. On pourrait croire à de la magie—celle de la scène justement—mais cette magie est rendue possible parce que le comédien ne cherche pas à étouffer sa peur avec un calmant avant de monter sur scène. Si son cœur bat à tout rompre, il n’a pas le choix : il doit en faire quelque chose. C’est son métier, sa vie. L’enjeu est si grand que, comme face à un incendie, l’urgence devient vitale. La peur se convertit alors en puissance d’action—c’est son rôle premier.
La peur n’est donc pas à fuir. Il faut le comprendre. Chaque fois que vous ressentez la peur et que vous estimez qu’elle n’est pas justifiée, ou qu’elle vous place dans un inconfort trop grand, vous tenterez de la mettre de côté. Vous refuserez cette émotion qui vous traverse—et c’est là le début de l’erreur.
UNE CLÉ : La reconnaissance.
Reconnaître sa peur, c’est lui donner une place et commencer à en faire quelque chose d’utile.
Pour reconnaître une peur, il faut d’abord l’accepter. Et pour l’accepter, rien de tel que de la verbaliser, de mettre en mots cette émotion qui vous traverse.
Allons vers notre risque, éclairé par nos peurs. Nos peurs sont des révélateurs. Comme l’ombre est la lumière projetée sur la matière.
Mais alors, comment reconnaître ses peurs et sortir de notre tendance naturelle à les nier ?