Depuis maintenant quelques temps, quelques mois, je m’observe. J’observe attentivement mes pensées, mes comportements et ceux du monde. Je tente désormais d’être fidèle à mes intuitions, ce qui, en soi, n’est pas chose facile. Il convient, pour y parvenir, d’avoir compris puis dompté la peur. Je dis « dompter », tant l’énergie de la peur est puissante et sauvage, comme si, de toutes nos émotions, elle était celle que nous avons le moins appris à reconnaître.
En fait, la peur est l’émotion de l’amour dans la matière. La peur est la matérialité. Elle est la projection de la lumière sur la matière. La peur révèle la matière.
Depuis l’enfance, la peur nous est interdite. On s’y frotte d’une manière ou d’une autre, souvent « artificiellement ». Elle est force obscure, monstre dans le placard, mort, horreur, terrorisme, abomination. Elle est perte d’identité, elle est multiple, sans fin, sans visage, partout, elle nous encercle. Plutôt que de l’accueillir pour ce qu’elle est, nous luttons sans cesse.
Ce n’est pas la peur qui nous rend aveugles, mais notre comportement fuyant, pleutre, prônant la douceur, le divertissement et le fun. Mais nous ne pouvons pas nous en vouloir. Nous ne savons pas et nous aspirons au bonheur. Désespérés, la tête dans le noir de nos yeux englués, nous cherchons la lumière. Comme des moustiques en été, nous brûlons nos ailes au premier rayon de soleil, perdant la raison, affolés par des annonces et des dangers illusoires, sans réalité, ou alors, sans danger, de voir la douceur s’évaporer pour donner sa place à l’aspérité, à la rugosité du réel, bien moins lisse que la roche naturelle.
Peut-être finirons-nous si doux et si lisses qu’une simple bougie nous éblouira, et que de la roche, nous ne pourrions qu’imaginer ses contours et apprécier sa beauté que virtuellement.
Transformer la peur n’a rien de souffrant, au contraire. La laisser mûrir sans en faire rien est une souffrance profonde, et c’est la seule proposition que le pouvoir économique nous offre.